Elle chante, elle bouleverse, elle s’impose
Je l’avoue d’emblée : je n’avais jamais entendu parler de Sylvie Héneault avant ce dimanche après-midi. Pourtant, le Cabaret du Casino de Montréal affichait complet, comme si la ville entière s’était passée le mot. Curiosité ou engouement soudain? J’entrais sans attentes, presque en intruse.
À l’heure pile, Héneault fait son entrée. Pas de drame, pas de mise en scène. Un pas sûr, discret, qui annonce une femme plus habituée à chanter qu’à se montrer.
Les premières notes de la chanson La scène s’élèvent, ce texte qui expose le trac, le doute, la lumière blanche où tout peut basculer. Elle la chante avec une sincérité qui met immédiatement la salle de son côté. Elle appréhende l’accueil, on le ressent, mais elle se jette tout de même. Et nous embarquons.
La surprise arrive vite : une voix ample, pleine, solide, qui prend de l’espace sans jamais forcer. Une voix qui semble venir du ventre, du vécu, du métier accumulé loin des projecteurs.
Héneault n’a pas besoin d’en faire trop. Elle respire, elle chante, et la salle écoute. Pendant deux heures, pas d’esbroufe, pas de chorégraphies. Son outil, c’est sa voix. Et elle l’utilise avec une assurance tranquille.
Une contralto rare
Techniquement, elle impressionne. Cette contralto naturelle, profonde, chaude, trouve son terrain de jeu dans les graves et les médiums. Sa projection rappelle les grandes voix soul et gospel, celles qui savent faire vibrer un simple mot. On sent une maîtrise solide, presque instinctive, et un rapport au chant qui passe par l’émotion plus que par l’exploit.
Un parcours longtemps caché
On comprend mieux son aplomb quand son gérant et mari, Sylvain Morin, me glisse qu’elle chante depuis 35 ans. Salles privées, mariages, événements, l’ombre des métiers essentiels mais invisibles. Rien à voir avec la course au vedettariat.
Puis, il y a deux ans, un public en Floride se lève spontanément pour elle. Morin y voit un signe, propose un virage vers le grand public. De fil en aiguille, elle atterrit sur les scènes des casinos. Le reste appartient déjà à l’histoire.
Un hommage à Ginette Reno, mais pas une imitation
Ce spectacle est un hommage officiel à Ginette Reno, approuvé par la grande dame elle-même. 27 chansons en fil d’or, puisées dans les incontournables.
Héneault ne copie rien : elle habite les chansons avec respect, puissance et une présence étonnamment proche de celle de Reno, sans jamais tomber dans le mimétisme. Elle s’inscrit dans une lignée, pas dans un miroir.
L’orchestration du directeur musical Francis Tétu est sous le signe de l’élégance et de la maîtrise. Six musiciens attentifs, quelques multi-instrumentistes, un saxophone omniprésent qui arrache des frissons à intervalles réguliers, et une choriste juste et solide pour soutenir les moments clés.
Des reprises qui trouvent une nouvelle vie
Le spectacle balance entre nostalgie et redécouverte. La deuxième voix, puis L’essentiel d’Aznavour.
Le sable et la mer, qu’elle chante en duo avec son claviériste, devient un moment suspendu, presque fragile. Elle avouera que Ne m’en veux pas est sa plus belle chanson d’amour : on la croit, tant l’interprétation a de cœur.
Et puis, Un peu plus haut, la chanson que Ginette Reno ne voulait pas chanter et que René Angélil a imposée, « du grand Angélil », glisse-t-elle, prend ici un nouveau souffle.
Les détours inattendus surprennent : un Impossible rêve à la Brel, incandescent, et un Ceux qui s’en vont et ceux qui restent où le saxophone fend littéralement l’air.
La conclusion s’impose d’elle-même
Au final, c’est un feel good show, certes, mais c’est surtout la confirmation qu’on tenait là une artiste qui aurait pu briller bien plus tôt. Une voix sûre, une présence maîtrisée, une émotion non fabriquée.
J’étais venue par curiosité. Je suis repartie en me demandant comment une telle voix avait pu demeurer dans l’ombre si longtemps.
Sylvie Héneault ne se cachait pas. Elle attendait simplement le moment où quelqu’un ouvrirait vraiment les yeux et les oreilles. Et à ce stade, on a envie de l’entendre explorant d’autres répertoires, d’autres univers, d’autres audaces.
par Suzette Paradis
